DECOUVRIR un PATRIMOINE du XVème SIECLE   à  QUILINEN  en  LANDREVARZEC (29510)

QUILINEN : les siècles nous ont légué un merveilleux héritage !…

Le XIXe siècle
An XIXvet kantved

Une nouvelle circonscription à Quilinen ?
Ur bastell-vro nevez e Kilinenn ?

Le 1er janvier 1806 les membres du conseil municipal du canton de Briec se réunissent et prennent une très longue délibération de sept pages qu’ils adressent à Monseigneur l’évêque de Quimper. Ils expliquent qu’il est pratiquement impossible, surtout pendant l’hiver, aux enfants, aux femmes, aux vieillards habitant les confins de la nouvelle commune éloignés jusqu’à un myriamètre (mesure adoptée pendant la Révolution et valant 3 lieues) de venir jusqu’au chef-lieu et qu’il est nécessaire de créer deux succursales une à Landudal et l’autre à Kilinenn.
On y vante les mérites de Kilinenn : « L’église de Quillinen est disponible, elle est munie de ses cloches et de son horloge. La ci-devant maison du Curé est vendue mais les héritiers de l’acquéreur sont contant de s’en dessaisir. Cette maison est suffisante pour loger un desservant quand au jardin qu’on suppose avoir été cédé au commis pour soigner l’horloge il ne coûterait pas bien cher… Il y a bien à Landrévarzec église, maisons et jardin mais tout cela est vendu, d’ailleurs l’église n’a ni horloge ni cloche. » (document aux archives diocésaines de Kemper, dossier Briec).

Aujourd’hui nous le savons, les choses ne se sont pas passées de cette façon.
Nous savons par cette lettre qu’il y avait encore à cette époque deux cloches à Kilinenn et nous y découvrons aussi l’existence de l’horloge.

Une visite d’un Kerguelen à la chapelle
Gweladenn ur C’hergelen d’ar chapel

Au début du XIXe sans doute, le fils, ou peut-être le petit-fils de l’amiral de Kerguelen vient faire un tour à la chapelle. Il fait des croquis et note : 

(un descendant de la famille nous a apporté ce texte en septembre 2020)

Il parle certainement d’Isabeau de Quistinic qui avait épousée Guillaume de Kerguelen en 1413 et de Blanche de Launay qui avait épousé Guillaume II de Kerguelen, le fils du couple précédent, en 1449.

Création de la nouvelle paroisse de Landrévarzec et intégration de Quilinen dans celle-ci
Krouidigezh parez nevez Landrevarzeg ha Kilinenn enframmet enni

En cette première moitié du XIXe la chapelle ne sert sans doute que très rarement. La commune et la paroisse sont à Briec et toutes les opérations administratives et religieuses se passent dans ce bourg éloigné et peu facile d’accès l’hiver. L’église de Landrévarzec, qui a été rachetée à la Révolution et est donc privée, est dans un état de délabrement tel qu’il a fallu en condamner les entrées en 1838.
La paroisse de Landrévarzec est officiellement créée par ordonnance du roi le 29/06/1841 mais le premier recteur ne sera nommé que le 1er juillet 1843. Si les quartiers de la Madeleine et de Tréflez n’en font plus partie, elles le faisaient avant la Révolution, par contre Quilinen lui est attribué.
Ce 1er juillet 1843, lorsqu’un desservant fut nommé dans la nouvelle paroisse de Landrévarzec, l’église de la paroisse étant en ruine, toutes les cérémonies religieuses se firent à Quilinen jusqu’en juin 1844 : messes, baptêmes, enterrements, mariages, etc… ; et les réunions de conseil paroissial avaient lieu dans la sacristie de la chapelle.

L’église de Kilinenn est communale mais n’a apparemment pas été entretenue non plus depuis la Révolution car une longue lettre de 1846 (ou 1850 ?) du conseil de fabrique de Landrévarzec adressée au préfet explique l’état du budget suite à la rénovation de l’église paroissiale :
(….) Nous avons aussi une belle chapelle gothique dont les réparations sont urgentes ; une partie considérable de la charpente pourrie et affaissée sous la toiture menace une grande ruine ; des vitraux à couleurs autrefois magnifiques y sont dans un grand délabrement ; une partie de cette chapelle est sous pavés, l’autre partie se trouve couverte de quelques dalles fort mal assises. (arch. Diocésaine, dossier Briec).

Le 16 juin 1844 le recteur, Mr le Gac, envoie une note à l’évêque lui listant l’ensemble des objets appartenant à Kilinenn :
1- Une grande croix de procession en argent
2- deux autres croix en cuivre (l’une argentée)
3- deux calices en argent qui paraissent avoir été en vermeils
4- un bassin de plomb pour les fonts baptismaux
5- un ciboire
6- un petit ostensoir se montant sur le pied du ciboire
7- un petit bénitier en cuivre
8- un ornement blanc ayant besoin de réparations
9- un ornement rouge réparé au frais de la fabrique
10- un encensoir en cuivre
11- une bannière ayant besoin de réparations
12- huit chandeliers en cuivre pour l’autel
13- une petite cloche qui est pour les enterrements
14- la boite des saintes huiles
15- trois nappes d’autels
16- Glouques (?) ou poêle à faire du pain à chant (?)

Cette liste d’objets a l’air d’être très importante car l’évêque de Quimper la recopie le 1er mars 1845 et signe cette copie. On peut penser que cela est dû au différend qui existe entre la nouvelle paroisse de Landrévarzec et la paroisse de Briec au sujet de la propriété des objets du culte que l’on trouve dans l’une et l’autre chapelle. Landrévarzec par exemple réclamait la possession des deux calices des chapelles de la Madeleine et de Tréflez qui dépendaient d’elle avant la Révolution.
La fabrique de Briec, dans une lettre à l’évêque du 22 août 1852, se dit très peinée de cette demande après tout ce qu’elle a fait pour la nouvelle paroisse et, poursuit-elle : «  l’ensemble du mobilier de ces deux chapelles,(Madeleine et Tréflez) bien estimé, ne valent guère au-delà de cinq cent francs. La fabrique de Briec est bien décidée de les céder tous à la fabrique de Landrévarzec pourvu qu’on lui laisse aussi tout le mobilier de la chapelle de Quillinen qui lui appartenait de tous temps avant la nouvelle circonscription de la dite nouvelle succursale. Ce mobilier consiste en une grande croix en argent ciselée de la valeur de cinq à six mille francs, d’une grande croix argentée de 120 francs, de deux calices en vermeils de six cent francs, de deux ciboires en argent, d’un ostensoir, d’un encensoir, missels, graduel et antiphonaire…sans parler de l’horloge et de deux cloches qui seules valent plus de deux mille francs. ». (archives diocésaines 1P106).
Nous ne connaissons pas la fin de l’histoire mais manifestement l’échange n’a pas eu lieu et la grande croix en argent (datant de 1655) ainsi que l’horloge sont toujours à Kilinenn.

Entretien de l’édifice
Derc’hel kempenn ar savadur

La toiture
An doenn

Le budget de la fabrique de Landrévarzec de 1854 mentionne : « La toiture de la chapelle de Quilinen menace ruine » et vu ce que nous avons lu précédemment nous n’en sommes pas étonnés.
En 1855 , enfin, les travaux de réfection de la toiture sont réalisés et sur la facture de 1274 F nous apprenons que 22 000 ardoises ont été posées avec 127 livres de clous et qu’il a fallu 24 journées de couvreurs, qui ont également posés du zinc. Des scieurs de long ont également travaillé sur le chantier afin de façonner les fermes et les chevrons (ADF 1 V 907).

Le clocher
Ar c’hloc’hdi

Après avoir refait la toiture, c’est maintenant le clocher qui menace ruine. L’architecte départemental Joseph Bigot propose un projet qu’il chiffre à 1523 F pour en construire un nouveau au niveau du pignon ouest. Nous apprenons par diverses lettres que la fabrique de Landrévarzec dispose de 1000 F et que, grâce à une autorisation du conseil municipal de Briec, elle pourrait abattre les arbres du placitre et leur vente devrait rapporter 200 F. Le préfet se propose, dans une lettre à l’évêque, d’ajouter 200 F, pris sur le produit des amendes de police. Le conseil de fabrique accepte le projet Le Bigot et vote la soumission de Mr le Naour, entrepreneur, le 30 mars 1868. En fait, on apprend plus tard que les arbres n’ont rapportés que 128 F au lieu des 200 F espérés et que le devis final s’est monté à 1753 F. (ADF 1 V 386 et 1 V 907) (Plan le Bigot arch. diocésaine 8 L 106 10 & 11)

Sans doute, ci-contre, le seul plan existant actuellement du clocher primitif (avec la mention : section de clocher menaçant ruine, à reconstruire). Ce plan a été dessiné par Joseph Bigot en 1867 ou 1868. On voit à gauche, de face, cet ancien clocher avec ses deux chambres de cloches. En voyant ces plans on peut penser que dans un premier temps Joseph Bigot pensait reconstruire le clocher au même endroit. On ne sait pas pourquoi il a changé d’avis ensuite.

Sur ce même plan il y avait une vue de dessus, (voir ci-dessous) où on reconnaît bien l’escalier interne qui menait au clocher et aux chambres de cloches.

Le croquis d’un clocher à deux chambres
figure t-il le clocher d’origine situé au milieu de l’édifice ?

Le sol
Al leur-zi

Nous avons vu plus haut dans une lettre de la fabrique de Landrévarzec au préfet que le sol de la chapelle est, pour une partie tout du moins, recouvert « de dalles fort mal assises ». Ce n’est pas indiqué dans cette lettre, mais le sol de la chapelle, à cette époque, n’est pas horizontal et présente une légère montée quand on va de la porte ouest vers le chœur, vers l’autel. Cette spécificité se retrouve à Locronan également et dans bien d’autres églises et représente la montée vers Dieu. En 1890 la fabrique décide de remédier à ces désordres et enlève les dalles fort mal assises ainsi que les pavés, ou plutôt les dalles de granit qui recouvraient le chœur. Elle en profite pour remblayer la nef, d’une trentaine de centimètres à peu près au bas de la nef, afin de rendre le sol de celle-ci horizontal. Ce faisant elle annihile le symbole de la montée vers Dieu et réduit de beaucoup le rôle des banquettes de pierre qui forme le bas des piliers de la nef : ces banquettes sont maintenant beaucoup trop basses (voir photo ci-contre) pour s’y asseoir. Les dalles de pierre sont remplacées par une belle dalle de ciment qui représente sans doute dans la tête des décideurs une avancée vers la modernité. Cette date de 1890 était inscrite dans la dalle juste devant l’autel.
La tradition orale, provenant d’au moins trois personnes différentes, nous disait que les dalles du chœur de la chapelle se trouvaient à Kerho, une ferme distante d’un petit peu plus d’un kilomètre de la chapelle. En 2013, au début du chantier, nous sommes allés dans cette ferme et avons vu qu’entre la maison d’habitation, un ancien manoir, et la cour de la ferme existait un dallage en très mauvais état de vieilles dalles de granit. La surface de cet espace correspondait à la surface du chœur de la chapelle. Après discussion avec le propriétaire, un accord a été trouvé très rapidement et les dalles qui avaient quitté le chœur de la chapelle en 1890 sont revenues à leur emplacement d’origine en 2014.

Les premiers écrits sur Quilinen
Pennadoù-skrid kentañ war Kilinenn

Un premier article de Jean-Marie Abgrall, prêtre et architecte, paraît dans le Bulletin de la Société Archéologique de Finistère en 1892 (de p. 123 à 128). Il nous apprend entre autres que la roue à carillons dégarnie de ses clochettes se retrouve reléguée au bas de la chapelle en compagnie d’une côte de baleine.
Cette roue se trouve au sol du fait de la réalisation d’une peinture faite au XIXe siècle pour mettre en évidence le groupe de St Yves. On voit bien sur la photo ci-contre qu’il est impossible, ou du moins très difficile, de réaliser cette peinture sans enlever la roue qui se trouvait fixée sur l’assemblage de poutres que l’on voit au-dessus des statues. Le cercle de la roue se trouvait tout au plus à vingt petits centimètres de la tête de St Yves. Ensuite, comme elle était déjà en mauvais état, elle n’a jamais été remise en place. Elle aurait d’ailleurs gâché la vue de ce magnifique groupe de trois personnages.

C’est dans cet écrit également que l’on entend parler pour la première fois de la côte de baleine, qui est toujours présente dans l’édifice. Certains auteurs (J. M. Abgrall le premier en 1892) y voient un ex-voto donné par un marin. Et si ce marin était un des descendants de la famille de Kerguelen si présente depuis la construction, ou presque, de la chapelle ? La famille de Kerguelen vivait à St-Thois jusqu’au mariage de Guillaume I avec Isabeau de Quistinic (1413). Ce mariage le faisait devenir seigneur de Keranroc’h, à l’époque à Landrévarzec. Leur fils, Guillaume II, épouse Blanche de Launay (ou Gwenn ar Vern car la famille signait parfois en français, parfois en breton) de Penanjeun (Penn ar Yeun aujourd’hui) situé dans la trêve de Kilinenn (Briec) et c’est à partir de ce moment-là que les Kerguelen sont devenus une des familles prééminancières de la chapelle. Au XVIIIe la famille fait mention de Trémarec (manoir de Landudal) dans son nom et l’amiral se nomme en fait Yves de Kerguelen de Trémarec. Cette bribe de généalogie est destinée à expliquer qu’il y a une deuxième côte de baleine dans un édifice religieux et elle se trouve à Landudal dans la chapelle St Tugdual. Il est quand même curieux que l’on retrouve une côte de baleine tant à Kilinenn qu’à Landudal, juste les deux lieux que fréquentait la famille de Kerguelen. De plus, ni l’une ni l’autre paroisse ne sont vraiment bordées par la mer ni donc susceptibles de recevoir des objets provenant de cette dernière. Le marin le plus célèbre de cette famille est sans conteste l’amiral Yves de Kerguelen. Peut-être les a-t-il ramenées de son expédition qui lui a fait découvrir les îles, en 1772, qui portent son nom aujourd’hui ?

En 1898 paraît un nouvel article, toujours dans le BSAF. Il est signé par l’Abbé Antoine Favé et nous fait connaître le procès-verbal de 1648 que nous avons déjà évoqué plus haut. Ce procès-verbal, nous l’avons vu, décrit les blasons qui pour la plupart se trouvaient dans les vitraux. Il commence son article en faisant un commentaire sur l’état des vitraux, au moment où il écrit, en 1897 : « … quand aux vitres armoriées, aux images des cavaliers et demoiselles agenouillés décrits plus bas, ils ont complètement disparu ; il y a sept ans environ, un brocanteur en emportait les derniers débris. »
Cette phrase nous montre bien l’importance des dégâts qu’ont subi les vitraux entre 1810, on se rappelle le commentaire du descendant des Kerguelen un peu plus haut, et le début des années 1890. On peut quand même se poser la question de la raison de la vente de ces vitraux, même détériorés, à un brocanteur. Nous n’en avons trouvé aucune trace mais on peut penser, cela reste une hypothèse bien sûr, que cette argent a servi à remplacer les dalles de granit par la chape de ciment représentant le nec plus ultra de la nouveauté et que nous avons évoqué un peu plus haut.