La chapelle – architecture / Ar chapel – ti-savouriezh
Il est assez probable que cette chapelle a été édifiée à l’emplacement d’une chapelle plus ancienne mais nous n’avons aucun document pour le certifier. Quoiqu’il en soit la chapelle actuelle, dédiée à Notre Dame, a été édifiée dans le dernier quart du XVe siècle.
On note la présence des armes des Launay de Penn ar Yeun « d’azur au croissant d’or » tant dans la pierre, dans le mobilier que sur les vitraux aujourd’hui disparus mais dont nous gardons traces grâce à un inventaire réalisé en 1648 à la demande d’Hervé de Kerguelen et de son fils dans le but de prouver leurs prééminences en cette chapelle dont ils avaient hérité par l’une de leurs aïeules, Blanche de Launay, dame de Penn ar Yeun. Cet inventaire démontre que cette famille a été au centre du financement de cet édifice.
Les plus petits seigneurs des manoirs alentours, ceux de Lanneg, de Lezoudeved, de Lestudored et de Kerlestreg (d’après l’acte de réformation de 1426) ainsi que le « peuple » ont eux aussi dû contribuer pour partie.
En 2013, l’abbé Yves-Pascal Castel et Joël Lubin ont réalisé une description détaillée de la chapelle de Notre-Dame de Quilinen.
Note au lecteur du document ►►
La lecture du document doit se faire avec la précaution exprimée par les auteurs dans leur conclusion : « La chapelle Notre-Dame de Quilinen est entrée, au mois de juin 2013, dans une phase de restauration importante.. Ceci est une autre histoire qu’il faudra peut-être, un jour, raconter. Pour l’instant l’analyse menée ici est datée « d’avant la restauration ». Il faudra en tenir compte… ».
Les écrits de Castel-Lubin sont annexés ici : (avec l’aimable autorisation des auteurs).
Voir : « 2013 07 22 LANDREVARZEC QUILINEN CHAPELLE-Castel_Lubin »
La description de l’architecture extérieure et intérieure relatée dans les textes ci-dessous reprend en majeure partie les écrits de l’abbé Yves-Pascal Castel et Joël Lubin.
Afin de tenir compte des travaux de rénovation démarrés en juin 2013, les paragraphes intitulés Complément d’information viennent compléter le magnifique travail de l’abbé Yves-Pascal Castel et Joël Lubin.
Architecture extérieure
Le plan :
Y-P Castel écrit en page 1 : « Le plan en équerre, de la chapelle de Quilinen, est relativement peu courant comme le faisait remarquer René Legrand[1].
1° Une nef de trois travées lambrissée et bordée d’un unique bas-côté au nord.
2° Un chœur à deux travées et à chevet plat, commun avec un bras de transept posé en retour d’équerre au nord ; disposition originale qui ne se retrouve dans aucune église ancienne de Cornouaille.
L’arc diaphragme qui sépare la nef du chœur pénètre directement dans deux piliers massifs avec contreforts extérieurs montrant qu’il devait primitivement porter un clocher, clocher dont on reparlera plus loin.
Une sacristie exiguë éclairée par deux fenestrons carrés, est accolée au mur de l’aile nord. »
[1] René Legrand , « Société archéologique de France », « CXVe session, 1957.
L’appareillage :
Y-P Castel écrit en page 2 : « L’appareillage entièrement en pierre de taille de granite témoigne du soin apporté par le maître d’œuvre dans la construction. Ce choix de la pierre de taille, on le sait est loin d’être général tant dans les grandes églises que dans les chapelles rurales. Deux exemples voisins suffiront à l’illustrer. Le mur nord de l’importante église de Pleyben, à part les encadrements des baies, est en moellon tout venant. Et dans la même paroisse, la chapelle de Guennili est quasi entièrement construite en moellons ordinaires. L’adoption de la pierre de taille à Quilinen a donc obligé les maîtres d’œuvre à les tirer de bonnes carrières, qui ne sont pas pas nécessairement « proximales » selon le terme consacré. Leur éloignement vraisemblable a exigé des charrois que ne facilitait pas l’état des chemins de l’époque. Mais, ici, à la différence d’un monument comme le porche de Lanhouarneau, pour lequel on a récemment repéré le site de la carrière, on ne sait pas quel « grand trou » ou de quelle « perrière » a fourni la pierre de taille pour Quilinen..
Les pinacles :
Y-P Castel écrit en page 2 : « Face à cette « structure somptueuse par dehors … », nos greffiers évoquent, sans doute, … , le spectacle offert par l’abondance des pinacles. Mis à part les deux de l’angle du chevet, écourtés et non restaurés, la succession des cinq autres pinacles sur les côtés sud et est, font un effet agréable avec les fins crochets qui s’égrènent au long des arêtes pyramidales qui surmontent les contreforts. Sans oublier un clocher médian, qui a aujourd’hui disparu.
Aux angles de la chapelle quelques crossettes représentent des animaux. Malgré l’érosion on y devine entre autres un groin de cochon, un lion, un chien… »
Complément d’information :
Ces pinacles ont retrouvé leur aspect d’origine : réparés et consolidés.
Le gros contrefort central :
Y-P Castel écrit en page 2 : « Le gros contrefort central surmonté d’un fin pinacle fleuronné, témoigne de la présence d’un clocher médian aujourd’hui disparu. La niche intégrée dans le contrefort abrite une statue de pierre blanche si défigurée par le temps qu’on est aujourd’hui quasi incapable de l’attribuer avec certitude. On a heureusement ce qu’en ont écrit il y a un siècle les abbés Peyron et Abgrall[1] : « Sur sa face extérieure, une niche renfermant une statue de saint Pierre en pierre blanche (h. :0, 94), maintenant dégradée, mais offrant toujours sur les bordures de ses vêtements, des broderies d’une extrême finesse rappelant le genre et le style des draperies des personnages composant l’ancien Sépulcre de Sainte-Croix de Quimperlé ».
Quant à la toiture de la chapelle, touchée par l’ouragan dévastateur qui balaya la Bretagne en 1987, elle a dû être refaite entièrement.
[1] « Bulletin de la Société archéologique du Finistère » (novembre-décembre 1917 (p 339)
Complément d’information :
Cette statue de pierre blanche (non classée) est actuellement en consolidation chez un talentueux artiste local. A l’abbaye de Jumièges en Seine Maritime, il existe des statues de même facture. Question inévitable : « la statue de pierre blanche » est-elle originaire de cette région normande ? »
Pour continuer dans cette idée, on peut noter également que Monseigneur Jean de Lespervez, évêque de Quimper, dont le blason est présent à Quilinen, a dans sa parenté « Guillemette Paynel ou Pesnel, sa grand-mère, originaire de la baronnie d‘Hambye et de Briquebec en Normandie. »
( Source : en page 16 du document « Les armoiries dans la chapelle de Quilinen par Michel Mauguin ». )
Le clocher :
Y-P Castel écrit en page 3 : « Le clocher actuel de Quilinen est fort modeste. Sans connaître la date de son érection, on sait qu’il a été restauré en 1878, par l’entrepreneur Chalm sous la conduite de l‘architecte diocésain Le Bigot. Du type qu’on appelle volontiers cornouaillais. Il pointe sa flèche pyramidale au-dessus d’une chambre de cloche étroite, sans balustrade. On y accède par un escalier établi sur le rampant du pignon nord. Font suite à la volée de marches qui sont à l’air libre trois blocs de pierre qui font saillie contre le flanc de la souche, relayées par un gros anneau de fer. Ce système rudimentaire est commun aux clochers qui n’ont pas d’escalier intérieur ménagé dans le corps même de la structure, ou dans une tourelle annexe. N’empêche, l’accès à la cloche relève du défi acrobatique.
La cloche au corps lisse est ancienne. La date de 1703, s’accompagne de quatre noms séparés par des fleurs de lis : IESVS . MARIA IOSEPH . ANNA. Mais ici, du moins examinée d’en bas on ne relève aucune autre mention, ni fondeur, ni prêtre, ni parrain, ni marraine… »
Les accès à la chapelle :
Y-P Castel écrit en page 3 : « On ne fait guère en général attention à la disposition des accès aux édifices religieux tant ils relèvent de l’évidence. Or, cela comporte des nuances non négligeables.
La règle générale ici comme pour les églises et chapelles de taille ordinaire, est qu’il n’y a pas de porte du côté de l’est. Côté où le soleil se lève, on pourrait penser qu’il s’agit de signifier symboliquement aux fidèles que le mystère du Christ, vrai soleil levant, demeure en quelque sorte inaccessible à notre appréhension totale.
Le côté nord, le froid septentrion, n’a ici qu’une porte basse donnant sur le fond de l’aile latérale.
En revanche à l’Ouest au pied du clocher le portail quasi présent partout donne accès à l’allée centrale, ce qui est tout naturel.
Quand à l’accès privilégié par le sud, le côté ensoleillé, il s’enrichit souvent d’un porche. Mais Quilinen n’en a pas comme La Martyre, Guimiliau, ou Landivisiau. En revanche on a un riche portail. et une porte secondaire plus modeste. »
L’ Annonciation du portail à trois personnages :
Y-P Castel écrit en page 4 et 5 : « Le beau portail sud de Quilinen accueille dans son tympan une Annonciation fort originale ; Elle fait figure d’exception quant au nombre des personnages. On le constate, le thème si répandu dans l’iconographie chrétienne ne met d’habitude en scène que deux personnages : la Vierge et l’archange Gabriel le messager céleste qui vient lui annoncer sa maternité virginale. Quilinen ajoute, ce qui est extrêmement rare dans ce domaine un troisième protagoniste. Ici, l’archange Gabriel, dont l’évangile de saint Luc rapporte la mission divine acompagné d’un autre esprit céleste. [1]
Mais avant de rapporter l’explication pertinemment fournie par un auteur contemporain, laissons-nous guider par une description qui, datant d’un siècle, est une manière de rendre hommage aux chanoines Abgrall et Peyron, tout en prenant la liberté de placer entre parenthèses quelques compléments : « Presque au bas de ce côté de la nef (le côté sud) est un porche où une grande arcade encadre une porte géminée et dans le tympan une gracieuse statue de la Vierge agenouillée, ayant à sa droite l’ange Gabriel portant sur une banderole l’inscription gothique AVE . GRATIA . PLENA. A sa gauche, un autre, aussi à genoux, tient aussi une banderole avec ces mots : NOTRE DAME DE BONNES NOUVELLES. C’est en effet sous le nom de Itroun Varia Kelou Mad, Notre-Dame de Bonne Nouvelle, que les Bretons invoquent la Sainte Vierge dans le mystère de l’Annonciation.
« Le cul de lampe qui soutient la Vierge est formé d’un aigle tenant un écusson. Ceux qui portent les anges sont formés de deux lions tenant aussi des écussons sur lesquels on a peint des blasons de fantaisie (en fait, ajouterons-nous, sur l’un d’eux qui est mi parti on reconnaît des hermines, sur un autre mi parti lui aussi on a à dextre un aigle sur champ d’hermines, à sénestre une croix et une crosse en sautoir avec une mitre d’évêque). Au-dessus de la grande arcade, sont aussi trois ou quatre autres écussons, dont un (du type germanique, c’est-à-dire, avec cette échancrure latérale typique qui permettait au chevalier d’y reposer sa lance) timbré d’un casque (surmonté d’un cimier au léopard). Ce joli porche de Quilinen est absolument analogue comme forme et comme dimensions, à celui de Notre-Dame des Fontaines à Gouézec »[2].
Suite à la description faite par nos chanoines, on fera appel à Victor-Henry Debidour, fin analyste de la sculpture bretonne, au sujet de la présence d’un second ange, présente inhabituelle dans les Annonciations[3].
« Lorsqu’il s’agit d’un tympan, un problème de répartition se pose à l’artiste : il est souhaitable évidemment de laisser le centre à Marie ; c’est ce qui a été fait à Quilinen, mais il a fallu, malgré le dais au-dessus, et une console au-dessous, allonger exagérément le corps pour qu’il meuble toute la hauteur : agenouillé, il a à peu près les proportions qu’il aurait debout : Gabriel en génuflexion à la droite de Marie, et nettement plus petit, déploie vers elle un phylactère qui porte Ave gracia plena en lettres gothiques. Mais l’équilibre a exigé en face un autre ange tout semblable –dont l’infériorité se marque pourtant à ce qu’il n’a qu’une robe simple et non la belle dalmatique de l’archange – et qui, faute d’avoir quelque chose à dire, porte sur sa banderole le titre de dévotion de la chapelle Notre-Dame de Bonnes-Nouvelles ». On ne peut trouver d’explication plus pertinente.
Hélas ! Depuis les commentaires d’Abgrall (1917) et de Debidour (1953), le groupe de l’Annonciation s’est dégradé. Par souci d’en arrêter le processus, l’administration en charge des Monuments Historiques, après en avoir effectué le moulage a décidé de mettre les statues à l’abri à l’intérieur de la chapelle. »
[1] Le musée du Louvre présente une Annonciation de Bernardo Daddi à trois personnages (1335)
[2] Peyron Abgrall « Bulletin diocésain d’histoire et d’archéologie », nov et déc. 1917, p. 339.
[3] V.-H. Debidour : « La sculpture bretonne, étude d’iconographie religieuse populaire », Plihon, Rennes, 1953, p. 61.
Complément d’information :
Les statues de l’Annonciation visibles à l’extérieur sont des copies.
Voir aussi le blog de J-Y Cordier :
« L’Annonciation à trois personnages …«
(avec l’aimable autorisation de l’auteur).
Architecture intérieure
Le dallage :
Y-P Castel écrit en page 4 et 5 : « Entrés dans la chapelle, on ne fera pas attention à la surface du sol entièrement constitué d’une chape de ciment, sauf à en relever la date de 1890, que les maçons de l’époque, fiers de leur travail, ont étalée à l’entrée même du sanctuaire. ».
Complément d’information :
Le sol est dorénavant entièrement garni de dalles de granit. La date de 1890 a disparu ; à cette époque les dalles posées dans le chœur ont été récupérées pour stabiliser le sol aux alentours d’une maison d’habitation.
De ce fait, la mémoire locale s’en est souvenue et ainsi les dalles originelles ont été récupérées et ont retrouvé leurs emplacements d’origine dans le chœur ; l’autre partie du dallage est réalisée en granit nouvellement sorti de carrière.
Le témoin d’un clocher central disparu :
Y-P Castel écrit en page 5 : « Le visiteur qui est entré par la petite porte sera aussi sans doute surpris de voir à main gauche un lourd massif de maçonnerie percé d’une ouverture placée à une hauteur vraiment peu accessible dans l’état actuel des choses. On y devine les marches d’un escalier en colimaçon établi pour accéder à un clocher central désormais disparu mais qui donne toujours sur les combles de l’édifice.
Une des raisons d’être de la situation du clocher central qu’on vient d’évoquer. est que placé à la jonction du chœur et de la nef, son emplacement permettait au sonneur de faire tinter les cloches afin de rythmer, selon un rite liturgique très ancien, les différents moments de des cérémonies religieuses. Ainsi, à Quilinen, se voient toujours, dans la voûte jouxtant l’escalier les trous garnis de pièces de bois où le frottement des cordes a creusé des rainures.. »
Quilinen, deux styles, deux époques :
Y-P Castel écrit en page 5 et 6 : « Une des particularités de notre chapelle est qu’elle se compose de deux parties qui se distinguent par ce qu’on appelle le couvrement, c’est-à-dire le plafond pour employer un terme plus simple. Il y a d’une part les quatre travées du chœur et de l’aile en retour, couvertes par des voûtes qui sont par définition en pierre. Il y a d’autre part, les trois travées de la nef et du bas-côté dont le plafond est en lambris, fait de planches. On remarquera que voûtes et lambris se font concurrence à la jonction de l’aile nord et de la nef dans une curieuse répartition des genres.
Les voûtes de Quilinen un système de couvrement assez exceptionnel dans les chapelles et les églises paroissiales anciennes en Bretagne relèvent du gothique de la seconde période, On est ici aux environs de 1460. période de transition où pointe une certaine « modernité », ce qui montre que l’art en Bretagne n’est pas fermé aux modes venues d’ailleurs, contredisant l’adage trop répandu du retard séculaire de la province par rapport au reste du royaume.
Cette modernité se marque à Quilinen de deux manières. La première est la présence, au centre de l’aile nord, face au pilier agrémenté de colonnettes, d’un pilier nouveau style très sobre. C’est une colonne ronde dans laquelle viennent se fondre les nervures de l’arcature. Avec ce genre de pilier dit « à pénétration » on est en présence d’un système véritablement nouveau, qui entraîne la suppression totale de ces chapiteaux qui étaient une composante incontournable du style gothique antérieur. On retrouvera deux autres piliers à pénétration du même type dans la nef qui, elle, est lambrissée Cela montre ainsi que la nef, qui est une partie importante de l’édifice est postérieure au chœur.
……….
Si le décor gothique de la partie voûtée de Quilinen se réduit à des chapiteaux assez conventionnels ornés de motifs végétaux on se doit de signaler le trifrons de l’arc diaphragme vers l’angle du bas-côté nord. On appelle trifrons une figure où trois visages accolés montrent trois nez et trois bouches, se contentant de trois yeux, Ainsi, que l’on regarde de face ou de profil ce trifrons, ce sont véritablement trois visages qui se reconstituent.
Certains évoquent à ce sujet quelque triade celtique. D’autres y voient une représentation symbolique de la Sainte Trinité. Ce pourrait n’être qu’une de ces fantaisies caricaturales dont l’époque médiévale a été friande. »
La lecture de la description de la chapelle par l’abbé Yves-Pascal Castel et Joël Lubin peut se poursuivre, dans ce site, aux pages :